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Thierry Crapotte

Spectacle de poésie sonore, tissé d’extraits de l’œuvre de Tarkos, ainsi que de musiques contemporaines par Claudine Hunault et Nathalie Milon.

 

La douceur des mains


Le visage sous les mains les mains laissent respirer le visage
les mains couvrent le visage les mains sont douces
les mains entourent le visage les mains laissent passer le visage les mains sont douces prennent
les mains tiennent des bosses du visage…


Christophe Tarkos, Caisses, Paris, P.O.L 1998

Claudine Hunault, metteur en scène

Quand Nathalie m’a dit son désir de dire des textes de Christophe Tarkos, j’ai perçu une correspondance étonnante avec l’écriture du poète. Hasard de l’obscure histoire des corps, il se trouve que Nathalie ne voit pas. Il y a entre elle et le monde un espace particulier d’approche prudente, étonnée, une attention et une façon d’être aux aguets. Que Tarkos détaille le monstrueux bordel du corps, un petit bidon ou une lettre à son propriétaire, il le fait avec une précision et une autorité qui creusent un écart identique à celui que les mains de Nathalie imposent quand elles lisent.
La parole de Nathalie passe par la matière concrète des lettres, par le glissement des mains, les accélérations, les hésitations. Quand le texte sort par coeur et non plus de la pulpe des doigts, le corps joue une autre partition. Il est dans l’espace, toutes antennes ouvertes par nécessité, un corps en équilibre dans le monde, les mots de Tarkos le font tenir debout. Le corps tient parce que la parole piste quelque chose, une bestiole, qui s’échappe tout le temps – le mot ou un paquet de mots, un sens, des sens perdus oubliés découverts libérés ? – il faut doucement mettre la main sur la bestiole sans en avoir l’air, mais ne jamais lâcher l’affaire. L’enquête inépuisable jusqu’au détail, jusqu’au bruit du souffle. C’est une entreprise de folie pour faire péter la gangue dans laquelle les mots sont pris et dire autre chose que ce que les rapports sociaux, les rapports de pouvoir ont collé.
Nathalie est sur le plateau. Elle n’est pas loin d’elle. Elle le dit. Elle doit le dire pour avoir une chance de s’attraper, de se toucher. La parole délimite un lieu, délimite un dedans et un dehors, ce qui sort de sa bouche, de ses narines, tout ça désigne un dehors et un dedans. Sa présence là devant nous est suspendue au flot de mots, suspendue à la voix qui prend la langue de Tarkos, la dit, la chante, la vomit, la caresse, la murmure, la heurte, la bute, la souffle, la mange,
au point qu’elle dit « je m’agace ». Au point qu’elle plonge dans le silence et nous regarde depuis son silence. Au point qu’elle coupe le son et que les lèvres continuent seules la parole, la parle. Le voir ne viendra pas soulager le dire.
Il y a du gros plan dans l’écriture de Tarkos où chaque chose nommée se montre effroyable d’être si concrète, si tangible. Les doigts de Nathalie, et parfois son corps entier, vont chercher les mots sur les points saillants du braille.
On est invité dans la folie. On s’y laisse aller. La vie est magique. C’est bien.
Une proposition simple : nous voulons voir les mains lire Tarkos. Donc il y a une table.
Thierry Grapotte, scénographe, pose la question : « Qu’est-ce que ça signifie d’éclairer quelqu’un qui ne voit pas ? » Nathalie n’a pas besoin de lumière. Donc elle sera maître de la lumière et de l’ombre. Thierry fixe trois lampes sur la table, Nathalie allume, oriente, éteint, elle joue à diriger nos perceptions, nous qui voyons et qui la regardons. Le regard circule sans arrêt du plateau à la salle. Elle nous plonge dans le noir, ça ne change rien pour elle, pour nous ça change tout, elle ne parle plus, elle nous écoute nous perdre dans le noir.

 

 

Nathalie Milon, actrice et chanteuse
Les textes de Christophe Tarkos sont pour moi, une grande partition de musique contemporaine.
Chaque poésie m’enveloppe de textures sonores inattendues qui m’invitent à explorer, à entrer plus profond dans les couleurs de mon timbre.
Je sens ma voix qui dit, qui lit, qui scande le texte allant parfois jusqu'au chant. Cette langue rythme le mouvement de mes mains sur l'écriture braille. Chaque texte induit dans mon corps sa pulsation propre, les mots imposent leur tempo dans ma bouche, je suis toute emplie de cette musique subtile, les syllabes jouent avec moi.
La pulpe de chacun de mes doigts frissonne sous leur sonorités.
Travailler sur Tarkos c'est chaque fois enfiler une seconde peau qui me permet de vivre l’humour, le fantastique, l’absurde, le sensible en une seule traversée.

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